parcours de guérison
Diabète de type 1: comment le régime cétogène a changé la vie de la médecin Taïra Teyso
Diagnostiquée d'un diabète de type 1 à 32 ans, Taïra Teyso, médecin, a cherché une voie alternative à la prise en charge habituellement proposée aux patients. Après avoir réussi à stabiliser sa maladie grâce à une approche alimentaire radicale, en rupture avec les recommandations classiques, elle a publié en 2022 un livre issu de son expérience: Comment j'ai baillonné mon diabète grâce au régime cétogène.
Médecin, Taira Teyso voit sa vie basculer en novembre 2019 lors-qu'on lui diagnostique un diabète de type 1. À 32 ans, la jeune femme, mince et sportive, bénéficie pour-tant d'une santé de fer et affirme même ne jamais prendre, par principe, aucun médicament: Si je prescrivais traitements et examens à longueur de journée à mes patients, j'étais, pour ma part, comme une naturopathe de l'ombre, n'ayant même jamais pris un seul comprimé de paracétamol. Mais à l'automne 2019, un symptôme qu'elle juge d'abord anodin prend fina-lement une tournure inquiétante: «J'éprouvais une soif intense et impérieuse. Si, alors, elle en plaisante volontiers en se qualifiant de poto-mane une pathologie psychiatrique qui consiste à boire de l'eau compulsivement et en grandes quantités -, la réalité dépasse bientôt le simple trait d'humour: J'étais constamment assoiffée, au point de tout laisser en plan pour trouver de l'eau, de foncer dans un supermarché alors que j'étais déjà en retard ou de sauter de mon lit à peine assoupie pour engloutir une carafe entière. A cette soif insatiable s'ajoutent des signes plus inhabituels: elle fait les frais de perlèches - de petites coupures aux commissures des lèvres et développe une attirance compulsive pour les aliments crus et acides. Il me fallait des aliments frais, aqueux..., se souvient-elle, évoquant notamment ce jour où, obsédée par l'envie d'une pomme Granny,
elle a fait trois épiceries et quatre supermarchés. Si elle commence d'abord par faire l'autruche, la méde cin qu'elle est connaît trop bien ces signes d'alerte pour les ignorer: Les perlèches peuvent par exemple, dans certains cas, avoir pour cause sous-jacente des maladies générales telles que le cancer ou le diabète. Prise d'un mauvais pressentiment, elle se résout donc à faire une prise de sang, pour être tranquille».
De médecin à patiente: la plongée dans l'enfer du diabète
Les résultats tombent un lundi matin comme un couperet alors qu'elle entame sa journée de travail à l'hôpital où elle exerce avec une glycémie à jeun de 2,9 g/L, elle est au-dessus du seuil de 1,26 g/L à partir duquel le diabète est confirmé. Je l'ai vécu comme un véritable choc, car même si j'avais des symptômes évoquant le diabète de type 1 tels que la perte de poids ou la soif intense, à la trentaine, j'étais persuadée de ne plus avoir cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête puisque, dans la plupart des cas, la maladie se déclare à l'adolescence. Prise de panique, Taïra se rend immédiatement au service diabétologie de son hôpital où une consœur la reçoit sur-le-champ et lui lance à la vue de ses résultats: Ah oui! Diabète. Type 1, je présume, vous n'êtes pas bien épaisse... Par contre... C'est tout de même assez élevé... Vous êtes très probablement en acidose. C'est une urgence, vous savez! Malgré l'alerte de sa collègue, Taïra demande à retourner terminer sa journée de travail. Je devrais survivre jusque-là, puisque je suis déjà malade depuis plusieurs semaines, je présume... La diabétologue accepte et, ce jour-là, Taira s'injecte, pour in première fois, de l'insuline avant de regagner son service avec une ordonnance, une trousse noire contenant stylos å insuline et aiguilles, et surtout une consigne aller immédiatement aux urgences après sa journée de travail.
L'entrée à l'hôpital : choc clinique et choc culturel
Arrivée aux urgences, Taira ne tarde pas à découvrir la routine hospitalière des diabétiques: perfusions glycémies capillaires, injections et suivi rapproché. Elle fait également l'expérience de sa nouvelle identite: Vis ma vie de médecin de l'autre côté de la barrière!, se souvient avec humour cette médecin devenue patiente malgré elle. Très vite, elle se familiarise avec les schémas thérapeutique classiques: une dose d'insuline lente, ou basale, agissant sur 24 à 48 heures pour réguler la glycémie à jeun, et une dose d'insuline rapide (d'une durée d'action bien plus faible) administrée à chaque pas et censée permettre l'assimilation de la quantité de glucides ingérés.
Marise, dépitée, avec les nombreuses contraintes de sa pathologie:
la nécessité d'apprendre à alterner sites d'injection d'insuline (ventre, cuisses, bras) pour éviter les hypertrophies nodules susceptibles se former sur les sites d'injection et perturbant l'absorption de l'insuline-;
la menace de complications multiples (néphropathie, rétinopathie, neuropathie) et, surtout, les injections répétées à la prudence alimentaire et à la surveillance stricte. Pour mieux se mettre dans le bain, Taïra est hospitalisée en diabétologie, où on Jui indique que, malgré sa pathologie, elle peut manger tout à fait norma-lement et même faire des écarts», dès lors qu'elle respecte la base des apports recommandés: 45-50% de glucides, 35-40% de lipides, 15% de protéines. Du moment que je privilégiais les graisses insaturées (huiles et appa-rentées), les céréales complètes, les sucres lents et que j'évitais les sodas et tous les sucres rapides, rien ne m'était interdit. Il me fallait juste adapter la dose d'insuline à mes apports en glucides,
L'insuffisance du protocole << officiel >>>
Mais rapidement, Taïra constate que les recommandations nutritionnelles fonctionnent difficilement sur elle. Chaque repas servi à l'hôpital provoque une flambée glycémique. Après avoir ingéré 50% de glucides, ma glycémie montait en flèche, de sorte que je devais faire des injections correctrices toutes les deux
heures, se souvient celle qui, inca-organisme (oscillant entre envolées pable d'anticiper les réactions de son glycémiques et chutes brutales), passe alors des nuits blanches à scruter ses courbes et à se piquer. Un cercle infernal qui la pousse à s'interroger: Visiblement, je n'étais plus capable de métaboliser les glucides et je me suis donc demandé quels effets aurait la suppression des glucides sur ma glycémie. Il ne lui en faut pas davantage pour se lancer, depuis son lit d'hopital, dans des recherches sur Internet. Elle y découvre le régime cétogène, ou keto», dans lequel les glucides sont quasiment absents. Interloquée, elle interroge immédiatement la diététicienne de l'hôpital: L'éviction des glucides pourrait-elle me permettre de réduire les injections d'insuline? La praticienne lui répond que cela est possible et qu'il lui faudra les adapter à l'évolution de sa glycémie. C'est alors que j'ai commencé à douter du dogme des 50% de glucides.
Une révolution douce: les débuts du régime cétogène
À sa sortie de l'hôpital, quelques jours plus tard, Taira entame cette expérimentation audacieuse. Le keto, stratégie alimentaire très pauvre en glucides, modérée en protéines et riche en lipides, vise à forcer l'organisme à changer de carburant métabolique: au lieu d'utiliser le glucose (issu des glucides) comme principale source d'énergie, le corps va produire des corps cétoniques à partir des graisses, provoquant un état physiologique appelé cétose nutritionnelle. Pour tester son efficacité, Taira procède à tâtons, avec prudence mais détermination. Elle passe d'abord par une phase d'observation, de lecture et de comparaison, et ne tarde pas à découvrir que, si le keto constitue une alter native thérapeutique étudiée par les scientifiques pour le diabète de type 2, les cas de diabète de type 1 traités avec ce régime sont, eux, rarissimes, peu documentés et même parfois tabous. L'argument principal qu'on lui oppose est le risque d'acidocétose. Or, médecin elle-même, elle comprend que ce risque est lié à une absence d'insuline en contexte d'hyperglycémie, et non à une cétose nutritionnelle contrôlée avec glycémie basse. Tout en conser vant son insuline lente quotidienne. elle commence donc par tester des menus très pauvres en glucides mais riches en bons gras (avocats, olives, huile d'olive, poissons gras, noix de pécan) et en protéines (volailles, œufs, poisson blanc). Rapidement, s'appuyant sur son capteur de glycémie pour observer en temps réel les effets de cette diète, elle se rend compte qu'elle peut diminuer, voire supprimer, l'insuline rapide primordiale lorsque les glucides sont exclus du repas. Dans son cas, les résultats sont d'ailleurs bluffants: Des courbes plates, des glycémies basses mais stables, et plus aucun pic glycémique postprandial. Progressivement, elle réduit également son insuline lente. D'abord timidement, puis franche-ment: ses glycémies à jeun passent largement sous la barre de 1g sachant que la limite basse officielle est 0,7 g. En suivant les règles officielles d'adap-tation de l'insuline lente, elle arrive àla conclusion logique qu'il lui faut encore diminuer... puis arrêter. À peine deux semaines après le diagnostic, elle abandonne totalement l'insuline. Un sacrilège pour beaucoup de soignants, mais une délivrance pour la jeune femme: Diabète de type 1, zéro insuline... C'était une zone de non-droit, une sorte de vide juridique!
Un quotidien réinventé
Taïra Teyso entre alors dans une nouvelle vie, rigoureusement structurée autour de son régime. Chaque repas est conçu pour éviter les apports glucidiques, mais sans frustration. Elle apprend à cuisiner autrement, expérimente les édulcorants compatibles (érythritol, stévia, sucralose).
ceux qui provoquent des pics glycémiques intempestifs. Elle teste des recettes cétogènes de pain, de pizza ou de pâtisseries, avec parfois des échecs, mais souvent des réussites. Sa devise une observation rigou-reuse du régime pour ne pas sacrifier l'équilibre métabolique tout en restant gourmande. En parallèle, elle observe les réactions de son entourage médi-cal. Certains médecins expriment leur réticence: Ce n'est pas bon pour les diabétiques... Les glucides sont indis-pensables... Mais Taira se montre tellement rigoureuse dans l'application du régime keto que d'autres, comme le professeur en diabétologie Agnès Hartemann qui, plus tard, préfacera son livre, encouragent son expérimentation. Ce nouveau mode de vie porte ses fruits. En quelques semaines, la jeune femme retrouve une énergie stable, un moral au beau fixe et un sommeil serein. Surtout. elle découvre qu'elle peut vivre avec un diabète de type 1 sans avoir à se piquer plusieurs fois par jour, sans hypoglycémies nocturnes ni hyperglycémies post-repas. Sa courbe de glycémie mie reste quasi linéaire: des courbes plates, basses, sans insuline qu'elle brandit avec fierté à l'hôpital ou tout avait commencé. Le régime cétogène devient pour elle une évidence: Je ne mange plus de glucides, donc ma glycémie reste stable.
Une philosophie de soin
Elle parvient à maintenir cette stabilité sans insuline pendant plusieurs années. Mais, alors qu'elle entame une nouvelle vie de couple, elle recommence progressivement à s'autoriser quelques écarts. Pour compenser, elle renoue avec son injection quotidienne d'insuline lente et, selon la quantité de glucides qu'elle consomme, elle s'injecte ou non de l'insuline rapide: Il y a certains jours où je ne prends que de l'insuline lente, et d'autres où je m'autorise un écart et m'injecte donc juste avant de l'insuline rapide,
Je prends également certains anti-diabétiques oraux normalement réservés au diabète de type 2, mais qui sont parfois prescrits aux diabétiques de type 1 pour les aider à réguler leur glycémie. Ce protocole me convient parfaitement. Aujourd'hui convaincue que le but du régime n'est pas de se croire guéri, mais d'équilibrer au mieux ses glycémies pour éviter les complications et simplifier son quotidien. Taïra propose une approche scientifique et personnalisée. Pour elle, le but n'est pas forcément de réduire au maximum son insuline. L'insuline en soi n'est pas mauvaise, et l'important reste d'avoir une bonne hémoglobine glyquée et une glycémie bien équilibrée pour ne pas avoir de complications sur le long terme. Pour ce faire, chacun trouve sa méthode. La mienne est un régime cétogène bien contrôlé avec un peu d'insuline pour me permettre de m'autoriser des écarts quand j'en éprouve le besoin ou l'envie. Si elle reconnaît qu'il s'agit là d'une diète exigeante, parfois mal acceptée socialement, et difficile à mettre en œuvre pour certaines personnes, en particulier pour les enfants et les adultes déjà insulino-dépendants depuis longtemps, cette approche a, en tout cas, changé sa vie. Et si de nombreuses questions restent en suspens (combien de temps peut-on rester sans insuline? Y a-t-il des effets délétères à long terme ?). le parcours de Taïra Teyso pose la question du potentiel du régime cétogène dans le traitement du diabète de type 1. Non pas pour abolir l'insuline, mais pour offrir une alternative, un complément, une voie de stabilisation qui mérite aujourd'hui d'être évaluée avec rigueur par les scientifiques.
Le diabète, une maladie en pleine expansion
Le diabète est une maladie chronique marquée par une hyperglycémie, c'est-à-dire un excès de sucre dans le sang. Il en existe de plusieurs formes, dont les deux principales sont le diabète de type 1 et le diabète de type 2. Le diabète de type 1, qui concerne environ 10% des personnes diabétiques, est une maladie auto-immune le système immunitaire attaque les cellules bêta du pancréas, responsables de la production d'insuline. Cette forme apparaît le plus souvent chez l'enfant ou l'adolescent, mais peut survenir à tout age, comme en témoigne le cas de Taira Teyso. Son traitement repose obligatoirement sur des injections d'insuline, plusieurs fois par jour, à vie.
Le diabète de type 2, bien plus fréquent (environ 90% des cas), résulte, quant à lui, d'une double anomalie: une résistance des cellules à l'insuline et une baisse progressive de la sécrétion pancréatique. Cette forme est fortement liée à l'alimentation, à la sédentarité et au surpoids. Elle se développe plus lentement, souvent après 45 ans, mais touche de plus en plus de jeunes adultes, voire d'adolescents. En France, plus de 3,5 millions de personnes sont traitées pour un diabète, et ce chiffre ne cesse de croître Au niveau mondial, on estime à plus de 537 millions le nombre de personnes atteintes, un chiffre qui pourrait grim-per à 643 millions d'ici 2030 selon la Fédération internationale du diabète.
Pour protéger son intimité, le médecin qui fait l'objet de ce parcours a pris le pseudonyme de Taira Teyso quee lequel elle a également signé son lure paru aux éditions Leduc
Clélia Fortier, Journaliste
Pour en savoir plus
Taira Teyso, Comment j'ai baillonné mon diabète grâce au régime cétogène, Editions Leduc, 2022.